Dark Side of Suisse
Premier Laboratoire, La Chaux de Fonds, Suisse.
On fabrique des maisons, on y met le feu.
Une maison qui se balade au bout d'une corde, en baluchon.
Merci Valentine Ponçon.
Où comment habiter, comment s'installer ?
"Le regard transforme le pays en paysage, le regard des autres, ceux qui viennent des ailleurs ou qui s’y sont frottés, et qui mettent des mots sur les choses, les sensations, les sourds éblouissements que l’on a pas dits, faute de savoir comment ou par peur du ridicule et pour cent autres raisons encore. […]
La poussée des choses est sourde et puissante, organique et considérable ; elle commande et c’est tout. […]
Les choses vertes, leur litanie, se déposent en moi et font sillon, ça se fait à travers moi ; plus tard, mille ans plus tard, en allée, enfoncée en mes ordinaires ailleurs citadins, je saurai que c’est là, que j’ai tout emporté, sans photos et sans images, incrusté sous la peau, et quand je commencerai à écrire ce sera comme lire en braille et déchiffrer du bout des doigts une géographie intérieure très archaïque. […]
Le pays premier peut-être une prison, il peut être un royaume suffisant, une source vive, un trésor. Je ne sais pas bien où passe la frontière entre la chance et le risque, le partir et le rester, l’attachement et l’arrachement ; je cherche à tâtons et suis les chemins ombreux ou troués de lumière qui s’enfoncent dans la terre des origines et partent dans le monde. Je sais seulement que la regardeuse d’enfance est devenue une travailleuse du verbe, assise à l’établi pour tout donner à voir en noir et blanc sur la page des livres. Il s’agit par le truchement du matériau verbal, d’habiter la page comme on habiterait un pays, et dans son cadre rectangulaire, entre ses marges, de donner aux paysages, extérieurs et intérieurs, un corps textuel, d’incarner un bout de monde perdu au milieu de rien à mille mètre d’altitude, pays premier, séminal et infusé que chacun porterait en soi, comme une cicatrice ou comme un viatique, ou les deux à la fois ou de mille autres façon encore. Il s’agit de se tenir au plus près, au plus serré, et de ne rien inventer en réinventant tout. […]
La géographie est au sens premier du terme une écriture de la terre. Elle dessine un pays archaïque, un pays haut, pelu, bourru, violemment doux, ardemment rogue, perdu et retrouvé toujours, quitté et lancinant. Des hommes et des femmes, y vivent, y travaillent, ils habitent dans les maisons qui font corps autour d’eux, les bêtes sont nombreuses et vivaces, les apprivoisées et les autres ; on s’enfoncerait là, dans la chair des choses et des cantons minuscules. Si j’osais, si j’osais vraiment, si j’vais moins de peur et d’avantage de force, on ne passerait pas par les histoires, on n’aurait pas besoin de ces détours et méandres charnus, on ne raconterait rien et le blanc monterait sur la page jusqu’à la noyer du silence. On ferait ça, on serait l’os de l’étymologie, dans le poème des choses nues et révélées, le vent, les arbres, le ciel, les nuages, la rivière, les odeurs, le feu, la nuit, les saisons. Il s’agirait de restituer un monde, de le donner à voir, mais aussi à entendre, écouter, deviner, humer, flairer, sentir, goûter, toucher, embrasser, à pleins bras, de toute sa peau, page à page, pas à pas, comme on marche, et ma place serait là, enfoncée dans le pays et dans la rumination lente du verbe."
Traversée,
Marie-Hélène Lafon
Collection Paysages Ecrits
Editions Guérin
Rencontre avec Plonk et Replonk.